Saint Arbogast
(Deuxième moitié du VIe siècle)


    D’après les plus anciennes listes d’évêques du diocèse de Strasbourg, Arbogast fut le 6e évêque répertorié, et le premier à porter un nom germanique. La tradition retiendra de lui l’image d’un évêque bâtisseur, qui releva de ses cendres l’ancien évêché romain de Strasbourg ruiné par les grandes invasions. Toujours d’après la tradition, Arbogast aurait été appelé à sa mission par le roi des Francs après une période d’ermitage passée en forêt de Haguenau.

 

 Cathedrale VIe siecle
Cathedrale de Strasbourg au VIe siecle d'apres "Notre Dame de Strasbourg" Wintzner et Keller, Editions du signe



Contexte politique

 

    Le fait qu’Arbogast se situe d’après les listes anciennes deux rangs avant Ansoald dont on sait qu’il était évêque de Strasbourg lors du concile de 614, suggère qu’Arbogast était en fonction vers la fin du VIe siècle. D’après les historiens, c’est dans la deuxième moitié du VIe siècle qu’Arbogast arriva à Strasbourg, vers 550-570, dans un contexte de fortification du pouvoir franc en Alsace. Après la conquête du nord de la province par Clovis, le territoire des Alamans n’avait été que progressivement incorporé au royaume franc. Le rétablissement d’un évêché catholique à Strasbourg n’intervint donc que vers le milieu du VIe siècle.

 

    Après le partage de 561, Sigebert Ier devint roi d’Austrasie (de 561 à 575). Ce roi Passa la plupart de son règne à guerroyer contre la Huns, contre la Bourgogne et surtout contre la Neustrie dirigée alors par son frère Chilpéric. Pourtant en choisissant Metz comme capitale, il déplaçait le centre de son royaume vers l’est. L’Austrasie comportait alors toutes les provinces rhénanes des Francs et notamment l’Alsace. En 575, Sigebert meurt assassiné. Sa mort met un terme à la guerre ouverte entre les deux royaumes francs. L’aristocratie austrasienne se retire alors à Metz où elle proclame roi le fils de Sigebert, Childebert II qui n’a que 5 ans. Durant le reste du siècle, le pouvoir austrasien s’appliquera à affirmer son autorité sur tout son territoire dans un contexte de luttes d’influences autour de la minorité du roi.

 

    Ainsi dans le dernier quart de siècle, tous les évêchés importants d’Austrasie se voient assignés des évêques Francs. Jusque là peu d’entre eux étaient dans ce cas. Il y avait sur le territoire historique des Francs Mayence (Adalbald, Nather, Adalbert et Lantfried avaient précédé Sidonius qui mourut en 589) et Tongres (Manulphe nommé en 549) ; mais bientôt d’autres francs arrivèrent à ces postes clé. Ainsi Magnéric premier évêque franc de Trèves succéda à Rusticus en 573, puis Ebergisil II succéda à Charentinus au siège de l’évêché de Cologne vers 580 (un premier évêque franc Ebergisil Ier avait accédé à ce poste au milieu du Ve siècle). En 589, un évêque franc reconquit le siège de Mayence (Siegebert Ier) puis ce fut au tour des évêchés « intérieurs » de recevoir un évêque franc, à savoir Verdun (Charimer en 589) et en 590 Metz (Aigulf qui succéda à Peter) et Reims (Romulph qui succéda à Egidius).

 

    Il est à noter que cette année 590 fut importante pour la consolidation du pouvoir austrasien. En effet, l’atmosphère à la cour du roi Childebert II était particulièrement délétère, baignée de complots et trahisons commanditées par les différents rois francs pour nuire à leur voisin. En 590, un complot d’assassinat contre le roi est mis à jour. Childebert convoqua alors tous ses évêques à Metz pour assister au procès de l’évêque de Metz Egidius soupçonné de trahison au profit du roi de Neustrie Chilpéric.  Grégoire de Tours ne fait pas mystère de la réticence des évêques à se rendre à Metz dans des conditions climatiques particulièrement difficiles. Néanmoins le roi était intraitable. Il voulut que justice soit rendue en présence de tous les évêques. Egidius fut reconnu coupable de trahison et envoyé en exil à Strasbourg. Puis Metz et Reims reçurent un évêque franc.

 

    Cet épisode montre bien le rôle important des évêques de cette époque dans le processus de consolidation et de légitimation de rois souvent vulnérables et à l’autorité contestée.  Etant donné cette situation il est très peu probable qu’en 590 Strasbourg n’eut pas d’évêque franc proche du roi. Egidius ne put avoir été envoyé que dans une ville dont le roi était absolument sûr. Saint Arbogast devait alors y être évêque et avoir suffisamment fait pour le pouvoir austrasien pour qu’on puisse lui envoyer sans risque un proscrit. D’ailleurs Childebert connaissait bien Strasbourg puisqu’il avait passé toute l’année 589 en Alsace, notamment dans sa villa champêtre de Marlenheim. On peut donc penser que cette venue en Alsace survint après une période où le pouvoir s’était efforcé à raffermir son emprise sur les alamans de cette région. La nomination d’un évêque franc dynamique pour accomplir cette tâche avait donc du être prise avant 580, c'est-à-dire à la fin du règne de Sigebert ou au début du règne de Childebert. Etant donné les autres nominations, je penche pour la période 570-575.

 

 

Origine d’Arbogast

 

    D’après la tradition, Arbogast, était issu de la noblesse franque d’Aquitaine. Etant donné le poids politique que représentait la nomination d’un évêque à cette époque, il est très probable que la nomination d’Arbogast fut la conséquence d’une décision royale et que la famille choisie était connue à la cour. Ainsi par exemple quand en 589, Carimer fut choisi pour remplacer Saint-Airy à l’évêché de Verdun, Grégoire de Tours écrivit : « par décret royal, le référendaire [chancelier] Carimer fut désigné ce qui était aussi la volonté du peuple. L’abbé Buccovald avait été refusé. » Pour être connu du roi, Arbogast ou sa famille vivait probablement près des centres du pouvoir austrasien c'est-à-dire en Champagne ou en Lorraine ce qui suggère une émigration d’Aquitaine vers le nord au cours du VIe siècle.

 

 

La Légende

 

    D’après la tradition, Arbogast avait décidé de quitter le monde et il chercha une retraite dans une région sauvage de l'ancien diocèse de Coire en Suisse. De là il gagna l’Alsace où il se retira en ermite dans la forêt de Haguenau. Il s’installa à l’ombre d’un grand chêne où il put méditer et prier Dieu à volonté. C’est là qu’il développa une réputation de grande sainteté qui serait parvenu aux oreilles du roi qui l’aurait alors appelé à l’épiscopat de Strasbourg. D’après la tradition, la mémoire de l’endroit de l’ermitage fut préservée en devenant un lieu de pèlerinage marqué aujourd’hui encore par les restes d’un vieux chêne. Il est évidemment peu probable que cet arbre date du VIe siècle car lorsqu’il fut foudroyé en 1913 il avait environ 7 mètres de circonférence à la base soit 7 à 800 ans. Tombé à terre, on le débita et le morceau du tronc qui subsiste aujourd’hui se trouvait à peu près à mi-hauteur. On l’érigea à l’endroit actuel en le remplissant de béton et en le couvrant d’un toit de tôle.  Près de l’arbre se trouve aussi une petite chapelle construite en 1955 sous l’impulsion du curé de Saint-Nicolas, F. L. Hauss.

 

 Arbogast et le chene


L’œuvre d’Arbogast

 

    Arbogast n’est mentionné par aucune source de l’époque. Grégoire de Tours ne le mentionne pas dans son « Histoire des Francs » alors qu’il évoque un grand nombre d’évêques. Le poids politique d’Arbogast devait donc être exclusivement local, limité au diocèse de Strasbourg. La preuve de son épiscopat à Strasbourg tient à la découverte en 1766/67 de deux tessons de tuile estampillés « Arbogast Evêque ». Le premier fut trouvé à l’emplacement de l’ancienne chapelle Saint-Michel dans l’ancien cimetière gallo-romain et mérovingien (aujourd’hui clinique Sainte Barbe), et l’autre à l’angle sud-ouest de la cathédrale. Elles sont marquées ARBOGASTIS EPS FICET (« L’évêque Arbogast l’a fait ») dans un cadre rectangulaire aux extrémités en queue d’aronde, comme c’est parfois le cas des tuiles romaines. Ces indices suggèrent qu’Arbogast fit redémarrer à son profit les anciennes tuileries romaines de la VIIIe légion pour restaurer les anciens lieux de culte chrétiens et en construire de nouveaux (comme l’église Saint-Martin). Ainsi sous son impulsion, la cathédrale de Strasbourg dédiée à la Vierge vit le jour à l’emplacement du lieu de culte antérieur du Ve siècle. Elle était probablement accompagnée dans son voisinage par une église baptismale (celles-ci étaient alors séparées de l’église paroissiale) et par la résidence de l’évêque et du clergé.


 Arbogast


    Si la Cathédrale était alors à l’intérieur du castel romain, le cimetière gallo-romain et l’église Saint Martin étaient en dehors des fortifications. D’ailleurs Arbogast se soucia également de l’évangélisation de son diocèse au delà du périmètre immédiat de Strasbourg. Ainsi son nom reste attaché à la fondation du premier monastère alsacien à Surbourg, en lisière de la forêt de Haguenau. Ce couvent fut placé sous le patronage de Sainte-Marie et de Saint-Martin. On peut supposer que les pierres de l'ancienne tour de garde romaine qui se trouvait là furent utilisées pour la construction de l'oratoire, tandis que les moines habitaient sans doute aux alentours dans des cabanes en bois. Ils choisirent de vivre selon la charte de St Martin auquel ils dédièrent leur couvent. Plus tard le roi d'Austrasie Dagobert II dont le siège était toujours à Metz (656-678), dota richement ce couvent pour favoriser la pénétration intensive du christianisme (vers 676).



 

                Abbaye de Surbourg fondée par Saint Arbogast.


    Selon l'historien L. Pfleger (« eine Tauferkirche »), les moines de Surbourg construisirent aussi à quelques 90 mètres de leur couvent (à l'emplacement de l'actuel foyer de la Société de Musique), une église baptismale pour baptiser les nouveaux convertis. Cette église patronnée par St Jean-Baptiste avait obtenu de l'évêque le privilège de posséder une cuve baptismale (à l'époque les baptêmes se pratiquaient par immersion).

 

    On sait que les Saints Martin, Jean-Baptiste et Pierre étaient les principaux saints vénérés durant la période mérovingienne. En étudiant les noms des paroisses actuelles on peut donc se faire une idée de celles crées à cette époque. D’après Privat, on peut ainsi estimer qu’une centaine d’églises paroissiales furent crées en Alsace durant la période mérovingienne. Nul doute que les premières d’entre elles furent fondées sous l’impulsion d’Arbogast.

 

Mort et héritage d’Arbogast

 

    D’après les historiens, Arbogast serait mort vers 590, mais comme nous l’avons vu il est vraisemblable qu’il était encore vivant lors du procès d’Egidius et comme nous le verrons dans la notice suivante en 592. D’après la tradition à l’approche de la mort, l’évêque demanda à être enseveli dans le vieux cimetière gallo-romain qui à cette époque était le lieu d’exécution des malfaiteurs. Les chroniques témoignent en effet que la butte Saint-Michel avait servi de lieu de sépulture à l’époque romaine et servit plus tard aux exécutions. L’endroit portait le nom de Henckersbuckel. Le tesson retrouvé montre qu’un bâtiment religieux fut en effet construit à cette époque. Sa tombe, célèbre par de nombreux miracles, devint bientôt l'objet de la vénération publique. Selon la légende, une chapelle y fut alors construite en l’honneur de l’archange Saint-Michel (668). La Vita de Saint-Arbogast, écrite au Xe siècle confirme l’existence de cette sépulture. Le pape Léon IX la consacra en 1051 et les reliques du Saint furent déterrées et déposées en partie dans l'église de l'abbaye de Surbourg et en partie dans le monastère Saint Arbogast de Strasbourg. Dans ces derniers on célébrait chaque année comme "laeta dies" la solennité de la Translation des reliques de Saint Arbogast. Le sarcophage est encore attesté dans la chapelle Saint-Michel aux XVe et XVIe siècles. A Surbourg, les reliques furent finalement volées en 1449. Aujourd’hui, sur la colline Saint-Michel, la chapelle de la Clinique Sainte Barbe marque le lieu de l’ancienne tombe de Saint-Arbogast.

 

    De par son activité refondatrice, Arbogast deviendra un des patrons et protecteurs de l'Alsace. Depuis son épiscopat, le siège de l’évêque de Strasbourg est surnommé le siège de Saint-Arbogast. Il est célébré le 21 juillet. Saint-Arbogast est représenté dans la cathédrale de Strasbourg sur les vitraux consacrés aux Papes, martyrs et évêques. Dans la troisième fenêtre de cette baie, il apparait sur le premier vitrail dédié aux évêques.


 Chapelle d'Arbogast

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Sources :

Internet dont le site de l'abbaye de Surbourg

« Histoire de l’Alsace », Privat

« Histoire des Francs », Grégoire de Tours

« Saint Arbogast sous le Gros-Chêne en forêt de Haguenau. »

http://www.archeographe.net/Saint-Arbogast-sous-le-Gros-Chene






Arbogast