Nicolas Höhnen de Hohatzenheim
a-t-il émigré en 1794 ?
Contexte
historique
Le 20
avril 1792, la France déclara la guerre à l'Autriche et
en juillet la Prusse se
joignit aux Autrichiens. Après la
victoire de Valmy, l’armée révolutionnaire occupa le
Palatinat jusqu’à Mayence
ou elle entretenait une garnison. Mais la décapitation du Roi le
21 janvier
1793, provoqua la levée d’une vaste coalition contre la France
qui se retrouva
assaillie de toute part. Pour résister il fallait plus de
soldats. En février
1793, la convention décréta la levée de 300 000
volontaires et l’instauration
de mesures de salut public. Des représentants furent
envoyés dans les provinces
pour hâter le recrutement des volontaires. L’Alsace
n’échappa pas à ces mesures
et dut subir l’enrôlement de sa jeunesse et les
réquisitions de ses réserves.
D’autre part pour s’assurer de la fidélité de la
population, le gouvernement instaura
la terreur au moyen de tribunaux révolutionnaires. Le 30 mars
1793, la
guillotine fit ses trois premières victimes sur la place d’armes
de Strasbourg.
En juillet
les coalisés passèrent à l’attaque. Ils
enlevèrent Mayence le 23 et prirent
position le long de la Lauter. La convention, aux abois,
décréta la levée en
masse le 23 août. En septembre, les coalisés reprirent
l’offensive. Le 13
octobre ils s’emparèrent de Wissembourg et l’armée du
Rhin dut se replier en
désordre vers Strasbourg. Bientôt l’avant-garde ennemie
s’approcha de Haguenau
qui tomba à son tour le 17 octobre. Le lendemain, le
général Wurmser établit
son quartier général à Brumath. Pendant ce temps
plus à l’ouest, les Autrichien
du général Hotze prenaient Bouxwiller, Neuwiller,
Dossenheim et Steinburg et
menaçaient Saverne. Les troupes de Condé s’étaient
repliés à Hochfelden et
Mommenheim. Le 23, les Autrichiens attaquèrent Saverne mais ils
ne réussirent
pas à s’en emparer. Enfin à la mi-novembre, les
armées du Rhin et de la Moselle
furent réunies sous le commandement du général
Hoche qui lança la
contre-attaque qui allait peu à peu dégager la
région.
En entrant
en Alsace du Nord, les troupes autrichiennes avaient été
acclamées par la
population. Aussi lorsque sonna l’heure de la retraite, beaucoup
d’Alsaciens
craignirent les représailles des républicains et
décidèrent de suivre les
Autrichiens sur la voie de l’exil. De ce
fait, l'armée autrichienne emmena avec elle entre 40 000 et 50
000 Alsaciens,
surtout des catholiques. Cet épisode fut appelé la
"grande Fuite". Un
habitant sur trois entre Wissembourg et Haguenau préféra
ainsi l'exil plutôt
que de subir le joug français et la terreur
révolutionnaire.
En décembre 1793, les Français vainqueurs à
Woerth et
à Froeschwiller puis au Geisberg, repoussèrent les
étrangers hors des
frontières. Le péril de l’invasion avait
été écarté. Devant le nombre des
habitants qui avaient déserté la patrie, la
république appliqua durant les six
mois suivants une série de décrets et
arrêtés visant à sanctionner ces
émigrés
et leurs biens. Ainsi par un
arrêté du 5
pluviose de l’an II (24 janvier 1794), les autorités du
département ordonnèrent
le séquestre des biens des citoyens dont il aura
été établi qu’ils ont émigré.
Chaque commune se vit désigner un
commissaire qui s’y présenta avec deux officiers. Ils allaient
de maison en
maison et si une habitation était vide, ils devaient y apposer
les scellés et y
placer un factionnaire. La mission fut entreprise à travers le
département dans
le courant de février 1794. Les possessions saisies dans les
maisons vides
furent vendues aux enchères durant les mois suivants.
Ainsi à Hohatzenheim, furent déclarés
émigrés en 1794 :
Pierre Barthel [le frère du soldat de
l’armée
républicaine]
Antoine Bied
Nicolas Blaes [le fils de l’ancien maire
guillotiné]
Daniel Diebold
Laurent Diebold
Michel Fohr
Georges Frund [Freund]
Antoine Hans
Laurent Hanns
Nicolas Henner [Hoehnen?]
Nicolas Schmitt
Pierre Weyer
Nicolas Hoenen
de Hohatzenheim
En 1793,
Nicolas Hoenen a environ 36 ans. Marié depuis dix ans avec
Madeleine Schneider
il a cinq enfants (Catherine, Madelaine, Marguerite, Nicolas et
Pierre). Il est
originaire de Donnenheim et dirige l’exploitation de sa femme qu’elle
tient de
son père Valentin Schneider qui a donné son nom à
la propriété. Vers la fin de
1793, Nicolas se rend à Brumath et puis disparait. Quelques
mois plus tard
il est considéré comme émigré. Les
soupçons semblent d’autant plus fondés, qu’à
Donnenheim son frère Georges disparut lui aussi et fut donc
également porté sur
la liste des proscrits. Or voilà qu’en octobre 1794, Nicolas
Hoenen réapparait à
Hohatzenheim. Il veut reprendre son bien et clame son innocence. Le
suspect est
alors interrogé le 1er novembre 1794 par le tribunal
révolutionnaire
à Haguenau.
Délibération
du
directoire
au 18
novembre 1794
Délibération du directoire
du district de Haguenau du 28 du mois de Brumaire [18 Novembre 1794]
l’an trois
de la République française, une et indivisible.
Séance publique.
Vu l’interrogatoire subi
par Nicolas Höhnen de Hohatzenheim prévenu d’immigration
par devant le comité
révolutionnaire de la commune et district de Haguenau portant
que lors de la
retraite de l’ennemi se trouvant en corvée à Brumath il a
été contraint à
charger des effets, les conduire à Fort
Libre
et
de
la à Diersheim ; qu’ayant été
détenu pendant quatre à cinq
semaines il a été mis en liberté, est tombé
malade dans un village nommé
Renchen ; qu’ensuite il a travaillé, après avoir
vendu son cheval est allé
de temps à autre sur les rives du Rhin pour essayer de le
passer, qu’enfin il a
trouvé l’occasion de revenir ainsi que George Reinbold de
Wingersheim.
- Vu le
mandat d’arrêt du Comité Révolutionnaire contre le
dit Höhnen.
- Vu les
cinq certificats des municipalités de Hohatzenheim, Wingersheim,
Mittelhausen,
Donnenheim, Gingsheim, par lesquels il est constaté que le
nommé Nicolas Höhnen
de Hohatzenheim a été contraint à conduire les
équipages de l’ennemi et qu’il a
toujours donné des marques de patriotisme.
- Vu aussi la pétition du Maire de Wingersheim et de
l’agent national de Hohatzenheim à l’effet d’obtenir qu’il ne soit pas traité comme
émigré.
L’agent national entendu.
Le directoire du District de Haguenau
délibérant
en séance
publique, considérant que par les témoignages des
différentes municipalités sus
mentionnées il est constaté que le nommé Nicolas
Höhnen a été contraint de
conduire les effets de l’ennemi, qu’en conséquence il ne doit
pas être puni
d’un délit qu’il n’a pas eu la volonté d’éviter.
Estime qu’il n’y a pas lieu à
le traiter comme
émigré.
Streber
V.V.
Mathis.
Arrêté
de
la
république une et
indivisible au 23 Novembre 1794
Nicolas Hoenen
District d’Haguenau
Req. gal. 18167
Proces verbal 42890
Ban des émigrés – 1ere
communication
Arrêté le 3 frimaire 3e
année de la république une et indivisible [23 Novembre
1794]
Vu l’interrogatoire subi le
11 brumaire dernier [1er Nov 1794] par Nicolas Hoenen de
Hohatzenheim prévenu d’émigration, par devant le
comité révolutionnaire du
district de Haguenau, portant, que hors de la retraite de l’ennemi se
trouvant
en corvée à Brumath il a été contraint
à charger des effets, à les conduire à
port-libre et de là à Diersheim ; qu’ayant
été détenu pendant quatre à
cinq semaines, il a été mis en liberté, est
tombé malade dans un village nommé
Renchen qu’après avoir vendu son cheval pour subsister, il est
allé de temps à
autre sur les rives du Rhin pour essayer de le passer, qu’enfin il a
trouvé
l’occasion de revenir ainsi que Georges Reinbold de Wingersheim, il
s’est
retiré directement chez lui, s’y est de suite
présenté à la municipalité qui
lui a enjoint de se rendre à Haguenau.
Vu le mandat d’arrêt décerné par le
comité
révolutionnaire du dit Haguenau contre le dit Hoenen aussi le 11
brumaire [1er
Nov 1794].
Vu aussi cinq certificats des municipalités de
Hohatzenheim, Wingersheim, Mittelhausen, Donnenheim et Gingsheim par
lesquels
il est constaté que le nommé Nicolas Höhnen de
Hohatzenheim a été contraint à
conduire les équipages de l’ennemi, et qu’il a toujours
donné des preuves de
patriotisme.
Vu aussi la pétition du maire de Wingersheim et de
l’agent national de Hohatzenheim à l’effet d’obtenir qu’il ne
soit pas traité
comme émigré, ensemble l’avis du directoire du district
d’Haguenau du 28
brumaire dernier.
Le Directeur du département du Bas-Rhin
considérant
que par les dits certificats il est prouvé que le dit Nicolas
Höhnen n’a pas
quitté volontairement la République que par
conséquent il ne peut être réputé
coupable d’émigration.
Arrêté en s.p. qu’il n’y a lieu à le
déclarer émigré
ni à le traiter comme tel et sera copie de la présente
délibération adressée à
l’accusateur public près le tribunal criminel à tels puis
que de droit.
Conclusion
Qu’en était-il vraiment ?
Nicolas Hoenen était-il de bonne foi et fut-il vraiment retenu
contre son gré
de l’autre côté du Rhin ?
Reprenons les différents
éléments de l’enquête :
1)
Nicolas
était en corvée à Brumath où il aurait
été réquisitionné pour aider au
transport des bagages ennemis. Ce point semble difficile à
croire. En effet au
moment où les bagages de l’armée impériale sont
encombrés de candidats à l’exil,
il semble douteux qu’on se soit trouvé forcé d’emmener
Nicolas Hoenen pour
convoyer des biens.
2)
Nicolas
accompagne l’armée au-delà du Rhin jusqu’à
Port-Libre [Freistett-Rheinau] et
puis jusqu’à Diersheim. Là il aurait été
emprisonné. On ne voit pas bien pourquoi.
Encore une fois, les autrichiens étaient encombrés d’une
foule d’immigrés ;
pourquoi se surcharger de paysans-prisonniers ?
3)
Hoenen
tombe malade à Renchen, soit à une dizaine de
kilomètre plus à l’est. Hoenen s’éloignait
donc du Rhin lorsqu’il tomba malade.
4)
Hoenen
aurait cherché à passer le Rhin durant plusieurs mois
sans y parvenir. Cette
version ne tient pas. Les pont sur le Rhin sont très nombreux et
Hoenen aurait
pu prendre n’importe lequel d’entre eux.
Alors quel est le fin mot
de l’histoire ? Si Nicolas Hoenen a voulu émigrer aurait-il
changé d’avis ?
Je pense que la clé nous
est fournie par un certificat de décès, celui de son
frère aîné Georges Hoenen.
Sur celui-ci il est indiqué :
« Décédé le 24 avril
1794 en émigration à Renchen, en Allemagne. »
Ainsi il ne fait pas de
doute que Nicolas était avec son frère Georges à
Renchen en 1794. La thèse de
la réquisition ne tient donc pas. Il est clair que Georges qui
avait 8 ans de
plus que Nicolas avait convaincu son frère de partir avec lui,
au moins pendant
un temps jusqu’à ce que la tension politique s’apaise en Alsace.
Il est alors
probable que dans la promiscuité des émigrés,
Nicolas et Georges aient été
victimes d’une épidémie à laquelle aurait
succombé Georges. Se trouvant alors
en situation précaire, Nicolas aurait alors décidé
de rentrer en inventant une
histoire crédible pour expliquer sa disparition.
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Sources : « 1793 :
La Grande Fuite »
Archives du Bas-Rhin